Pas de transition écologique sans éducation

Pas de transition écologique sans éducation

Dans ce texte je ne parlerai pas d’un acquis enraciné au plus profond de nos multiples histoires éducatives et porté par des courants de pensée différents: sortir pour éduquer par et dans la nature, sortir pour entrer en nature. Non pas comme on entre en religion mais bien pour comprendre ce qui nous relie au vivant humain, au vivant non humain et au non vivant. Les bénévoles et les professionnels des associations d’éducation à l’environnement savent faire et le font en combinant émerveillement et connaissances scientifiques. Mais est-ce suffisant pour prétendre que nous, éducateurs à la nature et à l’environnement, contribuons à l’avancée de la transition écologique ?

Sans doute est-il utile, avant de commencer, de vous exposer quelques « idées-cadres » – dont je ne suis pas l’inventeur – et auxquelles je fais appel, comme praticien, pour essayer d’analyser la nature des confrontations entre éducation et foisonnement des enjeux sociétaux. Elles sont la toile de fond de mes engagements.

L’éducation a un rôle majeur à jouer pour permettre l’appropriation par le plus grand nombre d’une « pensée écologisée » indispensable dans la perspective de l’avènement d’un monde soutenable.
L’éducation devrait nous mettre en situation d’apprendre à produire le bien commun, c’est-à-dire, permettre la fructification de l’aspiration de chacun « d’être avec »(1), de l’aspiration à la vie sociale, à la coexistence et ceci, en veillant sur les biens communs, qu’ils soient naturels, culturels ou sociaux.
L’éducation accompagne la construction et la progression des personnes en leur permettant de conquérir leur émancipation, de développer leurs capacités à fixer librement les normes de leurs actions.
Toute action éducative a un double objet. Permettre à chacune et à chacun à la fois, de développer ses capacités pour agir de façon autonome et pour mener une analyse critique sur les possibilités qu’offrent les institutions – créations humaines – à produire du bien commun.
L’éducation est un processus, elle n’est limitée ni dans le temps, ni dans les âges, ni dans les lieux. Elle s’inscrit dans la durée et n’est pas une trousse à pharmacie pour répondre aux urgences environnementales.

Ainsi « équipés » cherchons, au sein de ce qui nous permet de faire société ce qu’il est vital d’affronter en ayant recours à l’éducation, pour qu’une conscience éveillée et attentive au monde, nous permettre de lutter contre le déni de réalités scientifiquement établies, des catastrophes présentes et prévisibles dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles et énergétiques, des sols, de la santé.

Comment dépasser le « nous sommes pour la transition écologique MAIS … »?

Dans le cadre de l’espace offert, je traiterai deux enjeux : éducation et récit de l’humanité, éducation et écologie/économie.

 Education et récit de l’humanité.

Majoritairement les humains n’ont pas été, en des temps lointains, des protecteurs attentifs et bienveillants de la nature. Des scientifiques nous interpellent sur une réalité inscrite au plus profond et lointain passé de l’humanité. Nous sommes depuis toujours des colonisateurs responsables de manière endémique d’extinctions massives de la faune. Déjà au XIX e siècle, tous les débats actuels sont présents et alimentent engagements et controverses. L’idée de la nature à appréhender comme un réseau du vivant dont les humains sont une des composantes, la notion d’effet de serre et l’hypothèse du changement climatique, l’émergence d’une nouvelle ère géologique l’anthropocène (2), les contradictions entre les activités humaines civilisatrices, le progrès et la protection de la nature

Aussi faut-il intégrer que la nécessité d’une transition écologique accompagne l’histoire de l’humanité depuis ses origines, comme l’accompagne la difficulté d’appropriation par tous et chacun de la réalité scientifique des questions environnementales.

Il revient à l’éducation à l’environnement de s’approprier ces constats et de créer des activités pédagogiques permettant aux personnes d’entrer en contact avec le récit de l’humanité, d’inscrire leur vie ici, aujourd’hui, dans un récit de plusieurs centaines de milliers d’années, de vivre concrètement les stades les plus anciens de nos processus de développement, de s’approprier leur partie archaïque et ainsi d’intégrer l’impérieuse nécessité de liens forts entre appropriation de connaissances scientifiques et pouvoir d’agir pour notre devenir commun.

Éducation et écologie/économie.

Si nous nous en tenions à des propos définitifs et fermés à l’échange, l’écologie et l’économie relèveraient de sphères irréconciliables. Elles sont pourtant indissociables depuis l’aube des temps. Où est donc le problème ? Dans ce que nous en avons fait. L’économisme a perverti l’économie. Il est un des fleurons des « modèles fondations(3) » sacralisés par nos sociétés et dont le point commun est le règne de la domination. Il subordonne l’intérêt général et le long terme aux seules logiques comptable et financière en imposant que tous lesbiens, biens communs compris, rejoignent les marchés. Ainsi, le vivant, la biodiversité, les ressources naturelles, l’agriculture, les services, sont assimilés à des industries ou à la production d’objets manufacturés.

Le combat républicain contre l’influence des dogmes, des vérités révélées et des croyances dans les politiques publiques ne s’applique pas à l’économie. Il revient à l’éducation d’aider chacun à comprendre qu’un seul modèle dominant ne peut pas appréhender la complexité du monde. En référence à notre devise républicaine, l’économie devrait en permanence se poser la question des interrelations entre trois modèles.

Celui de la planification, qui mobilise la valeur d’égalité et qui organise la redistribution des richesses produites de manière encadrée.

Celui du marché, qui mobilise la valeur de liberté et qui fait confiance aux échanges monétaires et aux vertus des intérêts individuels et de l’égoïsme.

Enfin, celui de la réciprocité, qui mobilise la valeur de fraternité et qui repose sur l’altruisme et le don.

Ce travail, pour relier et non séparer, est à construire sur le constat d’échec de notre système économique qui induit l’exploitation des ressources naturelles et humaines, tout en développant un secteur florissant de la réparation impuissant à faire face aux désordres que nous causons.

Pour terminer,
pas de conclusion mais deux précisions et un message aux étoiles.

Première précision, chacun aura compris que le focus sur seulement deux enjeux est très restrictif vis-à-vis de ce que l’éducation peut s’approprier dans la perspective de l’avènement de la transition écologique (la concertation et la participation citoyenne, l’éthique de discussion « apprendre ensemble à décider ensemble », la gestion communautaire des communs, le triptyque « responsabilité/solidarité/efficacité », la relation homme/nature, …). Mais à mes yeux, ils sont essentiels.

Seconde précision, l’éducation par sa nature même, ne peut pas tout et en particulier face à l’état d’urgence auquel nous sommes confrontés. Il en va de l’éthique éducative mais, si comme je le pense l’écologie ne peut être que sociale, d’autres engagements, d’autres formes d’actions sont à mener en direction de la société civile et des institutions, dans le cadre de partenariats inter associatifs. Enfin, l’écriture de ce texte doit beaucoup à tous les moments d’échange et d’écriture en commun partagés avec Yannick Bruxelle. Je pense très fort à elle.

Michel HORTOLAN,
Président de France Nature Environnement Nouvelle-Aquitaine

Article paru dans le 11ème numéro de Plumes d’Orfée,« Pas de transition sans éducation ! »revue d’éducation à l’environnementdu réseau GRAINE Aquitaine, janvier 2019

Retrouvez le numéro 11 de Plumes d’Orfée, et bien d’autres ressources sur www.graineaquitaine.org

  • (1 ) Pour dater cet article, je propose à votre réflexion l’expression d’une « femme gilet jaune » interrogée sur un rondpoint : « On ne savait pas qu’il y avait des gens sympathiques, avec les mêmes valeurs, à côté de chez nous ».
  • (2 ) Désigne une nouvelle période géologique, succédant à l’Holocène, pendant laquelle l’impact de l’activité humaine devient prépondérant sur l’évolution de l’écosystème terrestre devant tous les autres facteurs naturels prédominant jusque-là.
  • (3) J’entends par « modèles/fondations », tous ces modèles occidentaux devenus nos repères collectifs, ils sont censés être une assise solide sur laquelle nous pouvons construire la maison commune pour vivre en société. Il s’agit du modèle de développement, du modèle économique, du modèle culturel, du modèle agricole, du modèle démocratique, du modèle des relations hommes/femmes, du modèle des rapports humains/nature. Modèles, tous traversés par la question de la domination.
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